Attendre la mise en place de l'ERP pour lancer le projet MES : est-ce si raisonnable ?

Souvent, les entreprises que nous rencontrons réfléchissent simultanément à la mise en place d'un progiciel ERP et à celui d'un logiciel MES. Et dans neuf cas sur dix, au bout de quelques semaines, la conclusion s'impose : nous allons attendre l'installation de notre logiciel ERP pour lancer notre projet MES !
Pourquoi ?

MES et ERP

Le choix de l'ERP est structurant...

C'est souvent le premier argument qui est invoqué. L'ERP est réputé (à juste titre) comme un type de progiciel très structuré. Une fois cette structure choisie, elle devra s'imposer au MES. Il est donc plus sain de mettre en place d'abord l'ERP pour connaitre les structures qui s'imposeront au MES. Ce raisonnement, qui en première analyse tombe sous le sens, ne tient en fait pas compte de deux éléments importants.

Le premier est que les logiciels MES actuels sont eux aussi très structurés : le standard ISA-95 propose un modèle objet complet qui couvre l'ensemble du périmètre MES et définit d'ailleurs un modèle objet d'échange avec les ERP. La plupart des logiciels MES modernes adhèrent à l'approche ISA-95.

Le second est que la structure des éléments d'échange entre l'ERP et le MES varie très peu d'un logiciel ERP à un autre, et donc que les spécificités introduites par la mise en place d'un ERP donné se limiteront à des adaptations d'interfaces qui n'auront pas ou peu d'impact sur la réalisation de l'application MES elle-même. Les échanges s'articuleront toujours autour d'une liste d'ordres de fabrication, de gammes, de nomenclatures, etc. De plus, plusieurs fonctions du MES, à commencer par l'analyse de performance, peuvent être mises en place sans interface, ou avec une interface rudimentaire avec l'ERP.

En revanche, différer le lancement du projet MES a des impacts négatifs non négligeables.

Cela retarde d'autant le retour sur investissement du projet

Au contraire du projet ERP souvent imposé au niveau stratégique, le projet MES est susceptible d'apporter un retour sur investissement rapide grâce aux gains de productivité engendrés. Retarder le projet MES va donc retarder également ces gains de productivité, affectant ainsi la compétitivité de l'entreprise.

Cet impact négatif sera généralement accentué par la dérive "classique" des projets ERP, qui en moyenne nécessitent pour leur mise en place complète deux à trois fois plus de temps que planifié initialement. Cette dérive n'est pas liée aux logiciels ERP eux-mêmes, mais à la remise en cause souvent plus profonde qu'estimée des méthodes de travail de l'entreprise.

Le projet MES n'étant pas lancé, il y a fort à parier que la frontière de partage au niveau fonctionnel entre l'ERP et le MES ne soit pas définie non plus. Dès lors, sous la pression des utilisateurs qui souhaitent avec légitimité que les fonctions MES soient couvertes, les prestataires en charge de l'ERP vont tenter d'y répondre par des développements spécifiques, alors que ces fonctionnalités auraient pu être couvertes en standard par le logiciel MES.

Ce travers va contribuer d'une part à éloigner dans le temps la finalisation du projet ERP, d'autre part à des dépassements budgétaires de celui-ci, consommant de fait le budget initialement prévu pour le MES. Le résultat pour l'industriel risque alors de se traduire par un MES aux fonctionnalités réduites, développé entièrement en spécifique et donc posant des contraintes sérieuses en termes de maintenabilité et d'évolutivité.

Que faire ? Lancer le MES avant l'ERP ?

Il y a beaucoup de bonnes raisons aujourd'hui de lancer le projet MES avant le projet ERP. Plusieurs industriels font d'ailleurs ce choix qui leur permet de bénéficier au plus vite d'un socle "Industrie 4.0" pour leurs fabrications, sans être tributaires du délai de finalisation du projet ERP. Mais dans beaucoup de cas, le projet ERP est considéré comme stratégique et ne peut être différé. On objectera alors que le lancement conjoint des deux projets est impensable tant au niveau des ressources mobilisées qu'au niveau budgétaire.

Pourtant, ce lancement conjoint ne devrait pas être tabou, au moins au niveau du partage fonctionnel entre les deux logiciels. On s'apercevra alors que plusieurs fonctionnalités MES peuvent être réalisées à court terme en mobilisant un minimum de ressources et en apportant un ROI rapide, de l'ordre de six mois, et qu'une poursuite en parallèle des deux projets n'est pas si absurde que cela.